André Stevens, Un jour en transit par tout temps, poèmes, L’Harmattan.

Un recueil assez déroutant, quelle que soit la Porte par laquelle on y entre. J’avais noté, à propos de la Première, Porte Un, À pied, en rue, au marché : Un ton minimaliste, très sobre, très resserré sur lui-même. Les premières strophes commencent toutes par Il y a, ce qui contribue en quelque sorte à banaliser le spectacle qui nous est présenté, au marché, dans la rue. Comme si chacun de ces « spectacles », cloîtré dans sa description quasi géométrique, suggérait la misère, la douleur, sans trop nous la montrer. Chaque poème est une longue phrase, étirée en longueur, parfois en largeur, finissant ainsi par former une sorte de cadre, de dessin géométrique. Au lecteur de l’imaginer, avec les bribes qui lui sont données, une sorte de jeu d’osselets :

Tente abri

Il y a le petit tas noir
accroché au trottoir
en forme d’une femme et d’un enfant
Dont se jouent les passants
comme d’une poubelle

et les pieds qui passent
tendent toujours un peu plus
le voile noir qui est la maison
de la femme et de l’enfant

De par sa profession, consultant de l’Unesco à la recherche des architectures patrimoniale et vernaculaire, l’auteur a parcouru de nombreux pays, et c’est sur ces voyages qu’est bâti le présent recueil. Non pas des paysages de carte-postale, mais le spectacle de la rue, les réminiscences qui viennent s’y accrocher, et, très matériellement parfois, le hall de l’aéroport, l’avion, les notables de toute sorte, ce qui ne va pas sans une certaine ironie.

Non pas la recherche d’une originalité, mais le choix, la trouvaille d’un style qui convienne à ce qu’il a à dire. Il n’y a pas de recette, seulement quelque chose d’abouti, par une sorte de miracle. Une poésie éminemment, intensément descriptive. Aucun appel à la pitié, seulement l’énonciation de ce qui est, des corps diminués, appauvris. Toute la misère du monde rassemblée, resserrée en quelques croquis.

Une sorte d’humour, parfois, qui s’efforcerait de ne pas être drôle, La bolognaise de Chopin, avec des échos aussi du monde des nantis, des échos qui sont les échos du vide. Avec aussi un très beau texte, p.135, très différent des autres, en une sorte de cosmogonie. Que ce soient les mendiants, les salles de restaurant, les éléments, comme les nuages, il nous donne l’impression d’être devant des êtres vivants, des « animaux-machines », en train d’ingurgiter, de respirer, de digérer, de déféquer. Le monde réduit à une immense machinerie. Du Descartes avec un soupçon de Francis Ponge.

Et puis encore, p.201, une sorte de confession pudique à propos de sa mère, et la villa de Winksele, le passé qui revient, les repères qui s’éliminent. Boucher les interstices, à force de chiffres, de mottes d’interstices?

Il reste peut-être, tout compte fait, un petit Pierrot rêveur qui sème dans sa route…

Joseph Bodson