Armel Job, Une femme que j’aimais, roman, Robert Laffont, 201

Un polar à l’intrigue soigneusement étudiée, de par, notamment, un usage du temps rigoureusement établi, un suspense qui fonctionne à plein…L’intrigue est lancée d’emblée, par la découverte du corps d’une femme d’une cinquante d’années, très belle encore. C’est le narrateur lui-même qui fait cette découverte macabre, dans la maison de la victime, Adrienne, à qui le liait une fervente amitié. Oui, une très belle femme, et Armel Job évoque sa beauté sans mièvrerie ni pudibonderie. Un air de jeunesse, une certaine naïveté, une délicatesse de traits qui n’est pas sans rappeler certains portraits des Préraphaélites.

Et, à partir de là, l’intrigue va nous ramener en arrière, loin dans le temps, en dévoilant chaque fois un nouveau pan dans l’histoire de ces familles, honorables, pauvres ou riches, qui, en principe, n’auraient jamais dû se rencontrer et croiser leur destin. C’est un peu comme lorsqu’on décide de retapisser une pièce qui ne l’a plus été depuis longtemps. Des bandes de grosses fleurs rouges apparaissent soudain, sous un tapis bleu d’azur, recouvert lui-même par un autre tapis, de bleuets et coquelicots. Et tous ces arrachements ne se font pas sans douleur: les personnages, qui paraissaient simples au premier abord, se révèlent par la suite bien pluscomplexes qu’on ne l’aurait cru. Et c’est là, me semble-t-il, que le polar décolle, dépasse ses propres frontières. Ce qu’Armel Job va nous révéler; de page en page, ce ne sont pas seulement des secrets de famille, soigneusement gardés, mais des personnalités très contrastées. Cela pourrait tourner à la plaisanterie, parfois, comme dans la scène où le père, ce taiseux, se confie enfin à son fils, dans la cabane au fond du jardin où il entrepose ses outils et ses Chimay bleues. Dans le réalisme lamentable, lors de l’entrevue avec le Père Paul, ce demi-défroqué. Et tous ces personnages ont aimé Adrienne, d’une façon ou de l’autre, ont infléchi son destin. Cela n’empêche pas qu’elle ait eu sa part, très courte, de véritable amour, de bonheur sans mélange, à la mer,avec un jeune ouvrier italien, Calogero, qui devait mourir le lendemain, au Bois du Cazier.

Je vous passe les naissances illégitimes, les regrets, les remords, la reconnaissance d’Adrienne par son véritable père, au Cabaret Vert où avait marqué sa route Rimbaud, l’homme aux semelles de vent. Car l’action se déroule en bonne partie à Charleroi et à Vieusart, dans la banlieue. Chez Armel Job, aucun personnage n’est négligé, traité à l’emporte-pièce. Chacun porte sa part du drame, et en souffre. Comme si Adrienne avait été une sorte de révélateur, découvrant chez chacun sa part d’ombre et sa part, bien petite de lumière. A commencer par Calogero, ce jeune émigré italien qui surgit dans la sombre trame de cette histoire, pour la trouer littéralement, par sa candeur, sa naïveté, tel un jeune Hippolyte mis en présence de cette Phèdre adolescente qui va le séduire. Car il y a bien des côtés d’ombre aussi chez Adrienne. Revanche sur la vie, sur une situation équivoque qui plombe ses jeunes années. Revanche de la jeunesse et de l’amour sur ce monde d’adultes qui n’en portent que le titre, n’ayant jamais grandi, perclus dès leur jeunesse par le mensonge, l’honorabilité, la jalousie, la solitude…Solitude de la pitié, aurait dit Giono. mais c’est d’un autre côté, me semble-t-il, qu’il faut chercher la parenté d’Armel Job, celui de Graham Greene. Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes….

Joseph Bodson