Béatrice Libert, Ce qui vieillit sur la patience des fruits verts, anthologie, choix et préface d’Yves Namur, peintures de Francis Joiris, Le Taillis-Pré,2018.

Une anthologie qui est en même temps une sorte de portrait moral, puisqu’Yves Namur a choisi, pour regrouper ces textes, non l’angle chronologique, ni même thématique, mais quelques-uns de traits les plus marquants de son modèle. Il en résulte une sorte de bouquet aux couleurs vives, contrastées, intensément coloré et vivant. Béatrice Libert, entre fragilité et ravissement, ainsi est intitulée sa préface, mettant l’accent sur les contrastes. Et les peintures de Francis Joiris font songer à un cadastre, un parcellaire. Des routes au fond des champs d’abeilles, et des cellules de fils en hexagone.Cela donne un peu l’effet d’un recueil de pièces pour clavecin du temps de Couperin, chacune battant pavillon d’un adjectif qui donne l’envol à sa démarche: La curieuse, La pensante, La grave, L’amoureuse, L’insoumise, et, enfin, L’inattendue…

La curieuse, nous dit encore Yves Namur, celle qui s’attarde volontiers en son jardin, et n’oublions pas que l’étymologie, conservée par le wallon qui dira de quelqu’un qu’il est curieux – c’est-à-dire plein de soin, – dans son jardin. Le bonheur inconsolé, et la marche qui trace la lisière du bonheur. Il s’agira donc de mettre en lumière les petits riens de la vie. (p.9) Un souvenir marquant le jardin de Sept Fontaines. Et puis ce texte superbe, à la page 23: Et te voici enfant du vide et de l’amour//Un mot en toi féconde le matin/Comme un caillou dans le chaud de la main///Va vers ton nom/Va vers ce qui n’a pas encore eu lieu//Va vers ta promesse/Au plus nu du silence un poème t’attend.

Et, à la page 25, un poème en prose, un très beau texte, au ton pressé, haletant. Je ne connaissais pas, ou guère, ce côté de son œuvre, et c’est une belle découverte, un ton qui convient parfaitement à un côté de sa personnalité, un ton juste. Une voix peut-être qu’elle devrait reprendre, explorer à nouveau. Car nous sommes tous, encore, des chanteurs à la recherche de leur voix, dans le ton le plus juste qui nous convienne.

La pensante: ici, p.39, un ton plus incantatoire, plus exigeant, plus viril, de par les répétitions, les injonctions. Et de nouveau, p.50, un très beau texte, au ton pressant, en prose poétique. Emprunter à l’oiseau/Sa part d’éternité. 

C’est à la page 72, dans La grave, le vers qui donne son titre à l’anthologie: Ce qui vieillit dans la resserre/Des années sous l’ongle usé/Des apparences/C’est ton regard qui n’a pas su/Palper le jour palper le noir//Et tout y  voir. Une ombre de tristesse, et le sentiment urgent du vide, la nécessité de traverser les apparences. Ici, p.73, toujours la hantise de la route, du chemin à faire. Et ce sont de très beaux textes qui viennent y prendre place, p.89, p.92.

L’amoureuse: très rilkéen aussi, p.102, dire le oui, puis le non. Et à la page 105: Sa voix dort dans ma voix/Comme une déraison//Qu’effeuillerait mon âge//Et je suis sans chemin/Si ne suis son voyage. Et, à la page110, une prose elle aussi très condensée

L’insoumise:. p.114, O que vivre avait goût d’enfance et d’éternité. Des vers qui d’eux-mêmes, lentement, sans en avoir l’air, vont se mettre en exergue.

L’inattendue: p.139: devenir, pour elle, peut-être un mot-clé, peut-être une sorte de drapeau. Partant du vide, du néant, de ce qui n’est jamais parfait, accompli, s’avancer vers un centre idéal, inconnu. Au bout de l’horizon, il y a toujours un autre horizon, et la vie n’est rien d’autre que ce chemin qui nous y mène. C’est le chemin qui est la vie, jamais il n’est derrière, mais devant nous.

Yves Namur a su ainsi, avec le meilleur de son talent, tracer un portrait vivant, intensément vivant, de Béatrice Libert et de son art, fidèle à tous ses arrière-plans, ses recherches formelles les plus achevées. Le tout forme un portrait in progress, sans rien de figé, de définitivement clos. On ne peut que l’en féliciter, et l’en remercier. Bien loin d’une figure hiératique, une figure qui nous réserve encore bien de belles découvertes.

Joseph Bodson