Bernard Antoine, Pur et Nu, Murmure des Soirs, 2018.

Un roman de plus de 400 pages, une jeune Maison d’éditions belge et un auteur né en 1956 et vivant à Bruxelles qui se lance dans un sujet particulièrement complexe, les années rouges du terrorisme en Allemagne, c’est suffisamment singulier pour qu’on s’attelle à une lecture qui sera longue, riche et haletante.
Egide Hollmer Causs, ancien reporter, vient de mourir, victime d’un malaise cardiaque dans les bras de sa maîtresse Ana Raïtcheva. Fortuitement, celle-ci découvre trois lettres laissées par son amant: la première lui est adressée, la deuxième est pour le fils d’Egide, Thomas, et la troisième est destinée à une certaine Alessia, inconnue de tous. Cherchant à découvrir qui se cache derrière ce prénom, Thomas fouille dans les archives de son père et découvre qu’un pan entier de sa vie lui est inconnu et qu’Alessia en est manifestement un personnage-clé. Avec Ana, il va partir à la recherche de cette femme dans un voyage à travers le temps et l’espace, un voyage qui les conduira de Bruxelles vers l’Italie à la poursuite d’un mystère qui débordera sur leur propre histoire. Près d’un demi-siècle plus tôt, en 1969, un jeune couple de Norvégiens communistes, Mattias et Birgit, débarque à Berlin en pleine tourmente estudiantine. Les universités sont en proie à la révolte, les manifestations se multiplient, l’Etat allemand réagit brutalement et la surenchère violente gagne la rue. C’est toute une jeunesse, indignée par l’âpreté de la répression, qui se soulève et demande des comptes à la génération précédente, celle de la guerre et du nazisme. Mattias, fasciné par les idées révolutionnaires rejoint un groupuscule emmené par un couple devenu emblématique du gauchisme allemand : Andreas Baader et Gudrun Ensslin. Birgit, en désaccord avec les choix de son ami, opposée à la stratégie de la violence prônée par ceux qu’on appelle « la bande à Baader », le quitte. Mais lorsque Mattias commet l’irréparable, elle est précipitée dans la tourmente et n’a plus qu’un choix : fuir derrière le Rideau de fer avec Heiko, un bibliothécaire d’origine bulgare dont elle est tombée amoureuse. Les protagonistes de ce récit aux relents de guerre froide, découvriront quarante ans plus tard la trame complexe qui, au-delà de leurs tribulations, les aura réunis dans un de ces étranges méandres du destin qui noue les hasards et compose les existences. Ecrit dans un style âpre, violent parfois, très cinématographique, multipliant les déplacements, les péripéties, les dialogues, les références et les recoupements, le récit est à la fois passionnant et instructif. Il se lit comme un reportage et ne se quitte qu’à la lumière du jour, comme si l’on sortait d’une salle de projection où tout un passé fort proche nous aura fait trembler encore de curiosité et d’élans révolutionnaires. Un événement littéraire à ne pas manquer.

Michel Ducobu

 

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