Laurent Demoulin, Robinson, Gallimard, 2017

Un récit, une sorte de journal, mais pas un journal ordinaire. Un témoignage émouvant. Et très bien écrit. Dès la première page l’on ressent une profonde empathie pour ce père qui se bat jour après jour du mieux qu’il peut, sans se lamenter.

« Soudain, Robinson se met à pleurer. Sa tristesse ne va pas crescendo : elle semble immédiatement profonde – ou plutôt sans fond (…) S’ennuie-t-il? Trouve-t-il soudain que la vie est absurde? A-t-il mal aux dents?(…) Est-il torturé par une angoisse intime? Ou par l’angoisse de son père? Je m’approche de lui pour le prendre dans mes bras, le serrer contre moi, à la façon dont ma mère consolait mes chagrins, il y a si longtemps, dans mon autre vie. Mais Robinson se dérobe, me repousse : à ma tendresse il préfère sa lourde peine ».

Le livre, autobiographique, raconte, par la voix de son père, la vie de Robinson, enfant autiste. Il raconte le quotidien, au plus près du concret, du garçon de dix ans, mais aussi et peut-être surtout, de son père. Des rapports père-fils/du « non-autiste » au « oui-autiste », qui sont à la fois toujours très proches -car le père ne peut jamais se permettre de quitter l’enfant des yeux- , et très éloignés, lorsqu’un sentiment d’incompréhension et d’impuissance ne peut manquer de le gagner. L’auteur, l’écrivain, le père a « une double vie », « Sociable, nomade, populaire, affrontant des auditoires de cinq cents étudiants »(…) « Puis, soudain, immobile. Solitaire. Silencieux. Avec Robinson dans son île » (dernier chapitre du livre).

Le livre est composé de chapitres généralement courts, basés sur des situations de leur vie à deux de tous les jours, des situations dramatiques dont certaines font malgré tout un peu sourire, car Robinson fait beaucoup de bêtises en riant aux éclats. On les suit par exemple « A la foire », « Au supermarché » , « En ville » ou encore « Aux terrasses des cafés ».

L’auteur ne cache rien des difficultés quotidiennes et, en même temps, le récit est empreint d’une immense tendresse. C’est que le livre n’est pas vraiment triste en dépit du drame : il y a des moments de grâce, des moments de vraie complicité entre eux.
Robinson rit, crie, mais ne parle pas, sans être pour autant coupé du monde ; il a un autre langage, qui échappe en grande partie aux « non-autistes », il est au contraire submergé par la réalité qui l’entoure, ce qui amène d’ailleurs le père à « voir » lui-même autrement le monde.

« Votre fils est autiste : vous connaissez le sens profond du mot joie. Mais vous n’êtes pas heureux. Personne de l’est sur la terre – vous, vous n’êtes plus obligé de l’être. Vous êtes dispensés du devoir de bonheur contemporain – vous ne devez pas acheter le dernier salon Ikea (Chapitre « Dans le catalogue »)

N’oublions évidemment pas de signaler que la grande qualité de l’écriture a valu à Laurent Demoulin d’être couronné par le Prix Rossel 2017 pour cet ouvrage.

Martine Rouhart