Marcel Ghigny, Mai 69, roman, éd.bernardiennes, 2018.

Un roman d’une belle tenue, à la fois très varié, notamment grâce au passage fréquent d’un personnage central à un autre, et une intrigue très structurée. Il est vrai qu’au début, le lecteur a un peu de peine à s’orienter  parmi les personnages nombreux de cette famille bourgeoise, de Condé-sur-Escaut, qui rappelle un peu les grandes familles de Plisnier, André Maurois ou Maurice Druon. Portrait d’une certaine bourgeoisie, que les évènements de mai 1968 vont durement secouer. Ainsi Lucie, cette élégante bourgeoise aux yeux verts qui court au secours de son fils, sur les barricades, et y rencontre…l’amour. Effectivement, mai 68 a été, qu’on le veuille ou non, une remise en question non seulement de l’enseignement, mais aussi des mœurs de toute une société: tous les tabous vont y passer , sexe, autorité, bien d’autres encore.

Mais il y aura l’ après-mai 68. Le retour à la nature, la vie sauvage, à l’état brut, c’est bien beau, vu de loin, mais il faut, pour s’y conformer, des caractères bien trempés. Ici, deux familles se décomposent et puis se recomposent, mais cela ne va pas sans heurts. L’adolescent des barricades, nous le retrouvons en pitoyable dévoyé, faisant non seulement son propre malheur, mais aussi celui de tout son entourage. En fin de compte, il faudra s’accrocher, ce n’est pas plus facile dans la société sauvage que dans la société policée: Comme le dit la phrase finale du livre:Faire confiance, pardonner, oublier. Se soumettre à la vie. Car contrairement à l’amour, elle est éphémère.

Au fond, c’est là, je crois, le sens profond du livre: comment se passent les relations entre un père, une mère, et les enfants, lorsqu’ils s’agit de ménages recomposés, dans cette société nouvelle qui cherche à se donner aussi ses marques, ses normes, et qui n’a pas encore fini de les chercher. Comment faire du neuf avec du vieux? Ces maisons des Cévennes retapées, avec des moyens dérisoires, en sont une bonne image. Nous sommes d’éternels bricoleurs…et ce n’est peut-être pas plus mal. Mieux, en tout cas qu’une maison préfabriquée qu’une grue, un beau matin, vient déposer dans votre jardin. L’amour, tout comme le bonheur, et avec le bonheur, ça se construit, ça se fabrique. Mon bel amour, mon tendre amour, ma déchirure…

Il faut dire enfin que les personnages secondaires, eux aussi, sont non seulement vraisemblables, mais très vivants. Nous avons ainsi le portrait de deux types de société, les grands bourgeois, et ceux qui ont coupé les liens avec cette société très hypocrite. Et le style, limpide, bien charpenté, sans fioritures inutiles, porte et soutient l’action du début à la fin. Marcel Ghigny est un homme de théâtre, et cela se sent particulièrement dans les dialogues. Quelques scènes très réussies – scènes d’amour et de liberté, paysages des Cévennes dont on respire l’air salubre.

Joseph Bodson