Philippe Cantraine, Le Correspondant de paix, philosophie, éd.Muse 2017Nous connaissions Philippe Cantraine poète, Philippe Cantraine romancier. Nous savions qu’il avait une connaissance approfondie de nombreux pays d’Europe et hors d’Europe. Il est ce que Giono appelait dans Un roi sans divertissement « Un profond connaisseur du cœur humain ».. Et c’est cette connaissance qu’il met ici à l’épreuve, en cette réflexion détaillée et désabusée sur le mal que les hommes peuvent faire aux hommes par les armes, par la violence, par le non-respect de l’autre. pourquoi? L’argent, la volonté de puissance, mais aussi, parfois, le simple goût de la violence, que l »on fait passer, parfois, pour de la virilité.

Il le fait sur un ton posé, convaincu, mais sans jamais hausser la voix. les faits, ici, parlent d’eux-mêmes. Encore faut-il trouver les mots qui s’adaptent aux faits. Encore faut-il trouver les images qui nous parleront, en ce monde sursaturé d’ images vraies, fausses, à moitié vraies, à moitié fausses, qui est le nôtre. Où le temps nous emporte, où les techniques de l’information, bien souvent, se muent en techniques de la déformation. Avec le résultat que l’on sait: le plus grand pays de notre monde qui se réveille, un beau matin, gouverné par un clown enfantin et malfaisant.

Mais ici, c’est la violence qu’il s’agit de démasquer. Elle est quotidienne, et peut nous atteindre demain, comme elle atteint n’importe qui. Mais écoutons l’auteur, dans son Avant-propos, p.4: Au gré de mes incursions à travers cette idée de correspondant de paix, j’en ai découverts qui se sont revendiqués comme tels et dont j’ai retrouvé l’aveu. Ils me sont apparus sur un chemin moins fait de cailloux blancs et de fleurs que de ruines sans toits, Il est vrai que la violence, parfois, est nécessaire, et Philippe Cantraine nous cite le cas de son père qui, dans la Résistance, pesait soigneusement le danger de représailles allemandes.

Les auteurs qu’il cite, et ses citations, sont on ne peut mieux choisies, et nous apportent un faisceau considérable d’arguments pour la paix – même si, selon certains, la paix  est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Et, au fil de ces citations, c’est tout un réseau, une famille d’esprits qui nous sont présents: Graham Greene, Jaurès, André Chamson, Dostoievskyi (cette larme d’enfant qui est l’essence de la douleur). Je note au passage ce beau texte de Romain Rolland, qui fut, en Europe, l’un des pères de la non-violence, et tissa des liens étroits avec Gandhi et Tolstoï: Montrer la sincérité ardente et aveuglée de milliers de braves gens dans les deux camps, l’inextricable amalgame de raison et de déraison qui les possèdent — On ne peut rien faire de plus juste, de plus humain, et de plus impérieusement nécessaire au moment présent.

Mais il nous donne aussi un bel exemple de correspondant de paix, le photographe Edouard Boubat,:Jacques Prévert aimait l’œuvre du photographe Edouard Boubat,, qui tantôt photographiait une jeune fille en chapeau  sur un balcon, tantôt ramenait d’Algérie un cliché de 1954 montrant des enfants de pêcheurs jouant dans l’ombre d’un filet mis à sécher. (p.15)

Le livre s’ouvre alors sur un nouveau chapitre, Irène, une correspondante de paix au caractère bien trempé. Ici prennent place nombre de dialogues, de conversations, de dialogues, qui parfois semblent tourner court. Comme cela se pratiquait parfois aux XVIIIe siècle. Cela semble parfois tourner court à fleurets mouchetés, en vaines mondanités, mais le sujet principal n’est pas perdu de vue, et cela se terminera, dans Fin de soirée, sur une constatation réaliste et désabusée d’Irène, qui porte bien son nom, et qui écarte toutes les aménités et les belles phrases: Les bombes font des trous dans les grands et  beaux débats. Vous allez vous rendre compte par vous-mêmes. Le cercle de la vie va maintenant se rétrécir. Vous allez être amenés à vivre des réalités qui ne sont ^pas dans vos souvenirs d’école, vos livres et vos conversations de table.

Le livre comporte aussi une belle étude de quelques cas, de quelques personnages emblématiques: Spartacus en France (Les origines, 1760-1876), où Philippe Cantraine se révèle historien des mœurs et des idées. Il est assez significatif que Numa soit devenu à l’époque un prénom à la mode, mais que les petits Gracchus et Spartacus soient très rares. Toussaint Louverture, tout aussi emblématique, que, dans un de ses romans, Philippe Cantraine confrontait, au fort de Joux, avec Henri de Kleist. Une attirance, justifiée me semble-t-il, pour des personnages entiers, à l’image d’Irène. Et un réel talent d’historien, lettré, d’une culture de plus en plus rare, hélas. Mais rassurons-nous, il est question de supprimer le cours d’histoire. Pour mettre à la place…je n’ose trop l’imaginer quoi. Je me souviens d’avoir eu entre les mains, dans un jury important, il y a quelques années, un manuel destiné aux professeurs de français, où il leur était notamment conseillé, dans les travaux pratiques, de couper des poèmes de Rimbaud en morceaux pour en faire des haï-kus. Quel rapport avec tout cela, me direz-vous? C’est Etiemble qui prétendait expliquer le départ de Rimbaud en Abyssinie.par la prise de conscience que la poésie ne pouvait rien changer au monde, alors qu’un transformateur, lui, le pouvait. Mais il ne disait pas pour en faire quoi. Sans doute du boudin pour le chat. Philippe Cantraine cite, quelque part en ce livre, un très beau passage de DostoIevsky, expliquant, précisément, qu’une larme d’enfant peut changer le monde. Et cette larme d’enfant, nous aurons toujours besoin de philosophes, d’historiens et de poètes pour la recueillir précieusement. Civilisation, que de crimes on commet en ton nom ! Il est vrai qu’une larme d’enfant, cela ne pèse pas lourd en ton giron.

Joseph Bodson