Philippe Remy-Wilkin – Lumière dans les ténèbres – Édition Samsa – 333 pages – 22 €

Une lumière singulière et beaucoup de ténèbres. Tout commence par une disparition dans une chambre close et une énigme policière à résoudre. Nous sommes en Belgique, en juillet 1865. Le décor, l’ambiance, les événements nous sont décrits avec une précision géographique et historique remarquable, nous situant clairement dans la réalité d’une enquête policière, menée par Alcibiade Vauvert. Mais dans cette « énigme en forme de conque », nous perdons rapidement pied. Car l’auteur multiplie les fausses pistes, les virages inattendus, les événements prenant des allures et des significations différentes selon la personne qui les mentionne, dans cette énigme, où les intervenants changent de rôle, changent de nom, et de noirs, deviennent blancs, ou vice-versa. On ne sait plus que croire. Mais c’est de bonne guerre, chacun des personnages se défend et peut mentir ou déformer la vérité. Nous sommes toujours dans le plausible. Philippe Remy-Wilkin mêle habilement des événements historiques et les éléments de son intrigue pour que le lecteur se sente en terrain sûr, avant de le faire tomber subitement dans les sables mouvants de la deuxième partie du roman.
Car l’ouvrage est constitué de deux romans accolés, dont l’un, plus ancien, a été remanié pour une publication conjointe.
Et dans ce qui est intitulé « Livre second : Et si le diable avait un fils », nous changeons de registre pour quitter la simple énigme policière avec explication rationnelle à la clé et surfer sur les légendes, les événements paranormaux, surnaturels. La mort spectaculaire de la voyante annonce la couleur. Combustion spontanée, d’accord, cela arrive. Mais quand on voit le plafond au-dessus d’elle « tel un organisme vivant, s’animer et frétiller », quand on voit « s’en détacher de grosses gouttes huileuses », puis « un torrent », pour finir par « une lueur, un jaillissement de fantasmagorie, une lame rougeoyante dévalant la rivière d’huile jusqu’à la voyante » qui « s’embrase en hurlant » et prononce dans un râle les mots fatidiques : « Six… Six … S… », 666, on voit se profiler la patte du Diable. Et là, le lecteur n’a qu’à bien se tenir car on l’emmène dans un monde plus obscur, on remonte vers des temps anciens, dont les événements dramatiques ont des retentissements au XIXe siècle. Ne dévoilons rien, le suspense tient en haleine jusqu’au bout.
Le livre second ne se présente pas comme un roman ordinaire mais comme une sorte d’ouvrage ésotérique (« La Voie sacrée ») : découpé en sections numérotées, qui apparaissent en alternance, intitulées respectivement « Article de journal, 1 » , très prosaïque, « L’Eau et le Feu , 1», « L’Ange blanc et le Diable, 1 », « Au coeur des Ténèbres, 1 », « Les Mystères d’Ameland, 1 », « Un homme, une femme, 1 », « Terra incognita, 1 », et « Le Sanctuaire ». Le lecteur se voit ballotté comme les personnages du livre entre les époques et les événements, à donner le vertige, du numéro 1 à… jusqu’à 18 séquences pour « Les Mystères d’Ameland ». Le Livre second se termine par un « Article de journal, 2 » qui nous ramène sur terre, boucle bouclée (?), annonçant que l’enquête de la chambre close « paraît bien » être résolue mais que les autorités ont décidé de tenir médias et public à l’écart de la vérité. Vérité trop extraordinaire pour être révélée à des gens ordinaires ?
Le premier livre se terminait par les mots « L’aventure décidément ne faisait que commencer. ». Est-ce à dire qu’il n’était là que comme introduction au second et que le but de Philippe Remy-Wilkin était de présenter comme « Voie sacrée » cette voie ténébreuse, ainsi qu’il semble le dire en page 305, quand il met dans la bouche du policier Vauvert ces mots terribles : « Il faut accepter, admettre donc que nous sommes tous manipulés. Il existe une Volonté, un Plan, une Puissance maléfique tapie dans l’ombre. Quelque chose est à l’oeuvre, là, quelque part. Qui ? Quoi ? ».
Les hommes seraient-ils le jouet du Diable ? Seraient-ils irresponsables de leurs actes ?

Isabelle Fable