Pierre Coran – Les chemins de Januséd. M.E.O. 63 pages – 12 €

Le titre annonce la couleur. Le mot chemins induit cheminement, promenade, avancée lente, attentive, parfois laborieuse, riche en observations et expériences, où l’homme s’est créé dans la nature une voie étroite mais royale. Une voie ? Non, plusieurs voies. Et cette pluralité se voit confirmée dans le mot Janus. Janus, dieu romain gardien des portes, à cheval sur le passé et l’avenir… en selle sur ce lieu de passage, la porte (janua), qui symbolise sans doute l’instant présent, l’instant charnière. Cet instant présent auquel nous sommes si souvent inattentifs et qui est pourtant la seule réalité objective, car passé et futur sont fictifs et n’existent que dans la pensée. Janus, le dieu à deux visages, deux visages opposés, au centre duquel il importe de trouver son unité, de se trouver soi-même… Mais, nous dit l’auteur en exergue de son recueil, « Dans le miroir des vanités, l’être n’est un qu’en apparence ». Et cet ouvrage, dédié à son fils, nous fait suivre à tous le périple en poèmes d’un homme, un anonyme, « il », en quête de soi par les chemins de Janus.

Il prend son bâton de pèlerin et s’éloigne des foules pour suivre seul le chemin balisé par des nues en cavale. Quittant la ville, il revient s’immerger dans la poussière des ancêtres, point de départ d’un voyage sans guide et sans itinéraire, au hasard, au gré des souvenirs.

Les heures s’effilaient comme des chevelures.

Il s’en trouvait captif, en accepta l’augure. […]

Et quand le crépuscule, à l’heure où les loups lapent,

relève ses collets, ses leurres, ses chausse-trapes,

il brûlait les étapes et tôt s’en prévalait.[…]

Il était en cavale sans être recherché

en espoir d’idéal et de sérénité.

Mais le périple soudain se mue en traverse et voilà notre pèlerin subitement en proie à des peurs anciennes collées comme sangsues aux flancs des habitudes.

Il se trouva cerclé de poulpes qui n’ont d’yeux

que pour la turpitude et vous engluent l’échine

de marées assassines.

Des coques somnambules errant à la dérive, des miasmes putrides, des moulinets de mouches, d’étranges mains s’exhalant des rivières, des porcs, pitres pouilleux, des gisants qui dansent sur les gravats…

Nous voilà plongés dans une ambiance étrange et délétère qui nous fait immanquablement penser à Bosch, aux tentations de Saint Antoine, de Saint Jérôme, à ce monde fantasmagorique hallucinant et terrifiant mais qu’on détaille avec délectation !

Après la nuit, le jour. Notre pèlerin s’éveille avec la sensation d’avoir planté un clou dans le soleil. D’avoir franchi une étape, violé un tabou, atteint le but de sa quête ? Blessé le soleil ? Ou piqué un cactus pour s’abreuver de son suc salvateur? Le voilà arrivé à la troisième partie de son voyage joliment intitulée La candela. Il a planté un clou. Que va-t-il y accrocher ?

Les paupières dessillées, il délimita mieux

son lieu de liberté, sa mesure du possible.

« Il » a trouvé les limites de l’homme, « Il » est allé au bout du chemin et présume qu’à force de se chercher, il trouverait les autres. Car, si l’homme n’est un qu’en apparence, peut-être tous ne sont-ils qu’un, en fait ?

« Il s’estima à même, au terme du voyage,

de mourir et renaître, d’être enfin à la fois,

l’apprenti et le maître.

[…]Je m’étais cru désert et j’étais habité, conclut-il en final. Il s’est trouvé multiple.

On n’a jamais fini de naître, comme dit Joseph Bodson dans son recueil Conjurations de la mélancolie.

C’est ce à quoi nous convie Pierre Coran dans ce recueil, qui peut être lu comme un chemin de vie, allant de l’enthousiasme de la jeunesse (Le périple) au but lumineux de la naissance à soi (la candela) en passant par les épreuves et désillusions de la vie (La traverse), bercés au rythme naturel d’alexandrins, sans la contrainte des rimes. Entre les animaux, qui ont la part belle, les herbes et les forêts, les paysages marins et autres, et quelques rares humains, nous voyageons dans un imaginaire plein de poésie. Et si le livre ne s’adresse pas aux plus jeunes, pour une fois, c’est que l’auteur a laissé parler ici une autre facette de sa personnalité pour nous livrer ce bilan en images d’un parcours oniriquement initiatique…

Isabelle Fable